QUELLES ALTERNATIVES AU COLOSTRUM ? (AFVAC 2018)

QUELLES ALTERNATIVES AU COLOSTRUM ?

 

SYLVIE CHASTANT
DV, PhD, Dipl ECAR, HDR
NeoCare, Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23 chemin des Capelles, F- 31076 Toulouse Cedex 03
HANNA MILA
DV, PhD
Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23 chemin des Capelles, F- 31076 Toulouse Cedex 03
AURÉLIEN GRELLET
DV, PhD
Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23 chemin des Capelles, F- 31076 Toulouse Cedex 03

 

 

Au cours des deux jours qui suivent la naissance, les mamelles de la chienne et de la chatte secrètent un liquide très particulier, le colostrum. Celui-ci a pour fonction non seulement de fournir de l’énergie aux nouveau-nés, mais aussi de leur permettre d’absorber des anticorps (immunoglobulines, Ig). En effet, chiots et chatons naissent avec une concentration en Ig presque nulle et c’est l’ingestion du colostrum qui va être leur permettre d’acquérir une immunité qui les protègera de nombreux virus et bactéries pendant les 4 à 8 premières semaines de vie.
Un substitut colostral peut se révéler nécessaire lorsque la mère est absente ou refuse la tétée, si la sécrétion colostrale ne s’est pas déclenchée après la parturition ou si elle est insuffisante par rapport à la taille de la portée. Il l’est aussi pour les jeunes trop faibles pour téter et enfin en prévention de l’isoérythrolyse néonatale chez les chatons (chatons de groupe A ou AB nés de mères B).

 

I) QUAND ?

L’absorption des Ig à travers la paroi digestive des chiots et chatons est possible uniquement pendant les 12 premières heures de vie. Ensuite intervient la « fermeture de la barrière intestinale ». Dans tous les cas, les substituts colostraux (tout comme le colostrum lui-même) devront donc être administrés avant la fermeture de la barrière intestinale. Mais en réalité, plus l’administration est précoce, plus la quantité d’anticorps absorbée est importante : le taux d’absorption intestinale des immunoglobulines G (IgG ou anticorps) chutant rapidement (40% à la naissance et divisé par 2 toutes les 4 heures). Néanmoins, après la fermeture de la barrière, le colostrum (et ses substituts) continuent à avoir un rôle immunitaire, mais il est uniquement local, dans le tube digestif.

 

II) COMMENT ?

Evidemment, l’idéal est de disposer d’une autre femelle ayant mis bas il y a moins de 2-3 jours pour lui faire adopter les jeunes, et toujours idéalement une femelle multipare ayant déjà élevé des portées avec un faible taux de mortalité. Ceci n’est cependant possible quasiment que dans les élevages de grande taille. Cette stratégie est plus facilement envisageable chez la chienne que chez la chatte, sans compter que dans l’espèce féline, il est indispensable de s’assurer de la compatibilité des groupes sanguins des chatons et de cette mère de substitution (ne pas faire adopter par une mère B des chatons de groupe A ou AB, l’inverse ne posant pas de problème).
Plus couramment, on a recours à des substituts colostraux administrés au biberon ou par sondage orogastrique. Le sondage a l’avantage de permettre l’administration à des nouveau-nés sans réflexion de succion efficace ou atteints de fente palatine ; il permet aussi de maitriser le moment et la quantité ingérée. Pour l’instant considéré comme un acte médical, le sondage orogastrique ne peut être réalisé par les éleveurs. Cependant il s’agit d’un geste de relative urgence, le déplacement de la portée ou du nouveau-né vers le cabinet vétérinaire étant difficilement envisageable, de même que le déplacement à domicile du praticien. Les jeunes carnivores sont donc souvent pris en charge trop tard ; il est très probable que la mort de nombreux nouveau-nés pourrait être évitée si l’éleveur avait maitrisé le geste du sondage. Cette situation contraste avec celle des veaux nouveau-nés, chez lesquels un sonde orogastrique pratiqué par l’éleveur est fréquent, y compris chez les animaux en bonne santé et dès la naissance : le sondage peut être systématique dans l’heure qui suit la naissance de façon à maitriser le moment d’ingestion du colostrum, favoriser le transfert d’immunité et donc la survie. Pour invasif que le sondage puisse être considéré par certains chez un animal aussi petit qu’un chiot ou un chaton nouveauné, le respect du bien-être animal nécessiterait sans doute que le législateur permette au vétérinaire d’encadrer l’apprentissage de la technique par les éleveurs de carnivores.

 

III) QUOI ?

Le substitut colostral doit au minimum assurer un apport énergétique, mais aussi un apport en immunoglobulines : les chiots et chatons naissent quasiment agammaglobulinémiques et environ 90% des anticorps circulants à deux jours de vie sont d’origine colostrale. Divers substituts colostraux sont possibles, homo mais aussi hétérospécifiques.

1) COLOSTRUM CANIN OU FÉLIN

Il s’agit de constituer une banque de colostrum, comme pratiqué couramment chez les bovins et les équins. Le moment de collecte est un compromis entre la fermeture de la barrière intestinale des jeunes de la portée de la femelle donneuse (12 heures chez le chiot, 16 heures chez le chaton) et la chute rapide de la concentration en IgG des secrétions mammaires (moins 50% au cours des 24 premières heures post partum. On peut donc conseiller aux éleveurs de prélever le lait d’une femelle (de leur élevage) au cours du deuxième jour après la mise-bas (donc après que les chiots ou chatons de la portée de cette femelle aient acquis leur propre immunité passive mais avant que la concentration en IgG n’ait trop chuté). Seul le colostrum de chattes de groupe A (qui pourra être administré à tous les chatons quel que soit leur groupe) sera stocké. La valeur immunologique du colostrum est très variable d’une femelle à l’autre (entre 3 et 55 g/l chez la chienne) : en l’absence de moyen disponible pour évaluer la qualité du colostrum en pratique, on peut juste sélectionner comme donneuses les femelles dont les portées précédentes ont eu de faibles taux de mortalité et de bons taux de croissance jusqu’à 2 mois et réaliser le prélèvement aussi précocement que possible (dès 24 heures après la mise bas du dernier jeune).
La traite est un acte en général facile à réaliser chez la chienne, plus compliqué chez la chatte. Après nettoyage et séchage du trayon, le colostrum est collecté dans des tubes plastiques de 2 à 5 millilitres de contenance puis congelé (-20°C). Par convention, on considère que le colostrum peut être conservé 1 an. Il est important d’être aussi propre que possible lors de la collecte, le liquide ayant pour vocation à être administré ensuite à des nouveau-nés. La décongélation doit être réalisée à 37°C (de préférence au bain marie ou au chauffe biberon) et en aucun cas au four micro-ondes (qui détruirait les anticorps). Le colostrum est ensuite administré à la dose d’1,5 ml pour 100 g de poids corporel du jeune.
À ce jour, il s’agit de la meilleure alternative au colostrum maternel, apportant énergie et immunité, mais aussi hormones et facteurs de croissance.

2) COLOSTRUM BOVIN

Le colostrum bovin est une source d’anticorps qui présente l’intérêt d’être facile à collecter et disponible en très grande quantité mais dont l’intérêt n’a pas été évalué chez le chiot ou chez le chaton comme substitut colostral. Le colostrum bovin apporterait énergie, hormones, facteurs de croissance et anticorps, mais avec probablement un intérêt limité pour le transfert passif d’immunité : les anticorps bovins seront probablement rapidement détruits dans le sang du chiot ou du chaton.

3) SECRÉTIONS MAMMAIRES AU-DELÀ DE LA PHASE COLOSTRALE

À partir du 3eme jour post-partum, la concentration en IgG a nettement chuté, on parle donc de lait et non plus de colostrum. À cette période, les secrétions mammaires permettront d’assurer un apport énergétique correct (puisque la valeur énergétique du lait est inférieure de seulement 20% au colostrum), mais l’apport en IgG sera nettement insuffisant : le lait contenant 1 à 2 g/l d’IgG au lieu de 20 g/l dans le colostrum, il faudrait de l’ordre de 13 à 26 ml de lait pour apporter la même quantité d’IgG.

4) SECRÉTIONS MAMMAIRES DE PSEUDOGESTATION (CHEZ LA CHIENNE)

Leur concentration en IgG est, comme celle des colostrums, très variable d’une chienne à l’autre, mais en moyenne, elle est du même ordre que la concentration colostrale. Leur valeur énergétique est inconnue. Il s’agit potentiellement d’une source d’IgG intéressante mais elle n’a pas encore été évaluée après administration à des chiots.

5) LAITS MATERNISÉS

Les laits maternisés sont dépourvus d’immunoglobulines canines/ félines et ont une concentration énergétique de moitié inférieure à celles du colostrum. Ils assurent donc un apport nutritionnel mais aucun apport immunologique.

6) SÉRUM CANIN OU FÉLIN

Le sérum prélevé sur un chien adulte contient des immunoglobulines, mais à une concentration environ 2 fois inférieure à celle du colostrum et pour une valeur énergétique très faible. Les essais d’administration de sérum canin par voie orale dès la naissance à des chiots privés de colostrum ne permettent qu’une augmentation du taux circulant d’IgG très inférieure à celle obtenue après tétée du colostrum. L’administration orale de sérum canin « en soutien » à des chiots ayant accès à leur mère n’a pas non plus permis de diminuer la proportion de chiots en déficit de transfert d’immunité. Chez le chaton, la voie orale semble permettre l’acquisition d’une immunité passive significative mais il est nécessaire d’administrer de très gros volumes (20 à 40 ml de sérum) et la protection n’est que de quelques jours) et les donneurs de sérum doivent être compatibles avec le groupe sanguin du chaton et négatifs pour FIV et FeLV.

7) SÉRUM D’UNE AUTRE ESPÈCE (ÉQUIN)

Si celui-ci a l’avantage d’être plus facilement accessible en gros volume que le sérum félin, l’administration d’IgG équines purifiées permet d’obtenir un pic de concentration d’IgG sérique similaire à celle obtenue avec du sérum félin, mais avec une aussi courte durée de vie (7 jours après la naissance, les concentrations sont déjà faibles). De plus elles ne confèreraient pas d’immunité efficace au chaton.

8) POUDRE D’OEUF HYPERIMMUNE

Des poules vaccinées contre des antigènes canins ou félins synthétisent des anticorps contre ces antigènes, anticorps qu’elles exportent en grande quantité dans le jaune de leurs oeufs. Ces anticorps (dits IgY, pour « yolk », jaune d’oeuf) peuvent donc être collectés par simple collecte des oeufs, donc disponibles facilement et en grande quantité. Les IgY, sous forme de poudre d’oeuf, mélangés à du lait maternisé, permettent l’obtention d’un substitut apportant immunité et énergie. Un tel substitut est actuellement commercialement disponible pour les chiots (PuppyPro-Tech, Royal Canin, Aimargues, France) avec une supplémentation en IgY dirigés contre le parvovirus CPV2 et E. coli sur la base du lait maternisé BabyDog Milk enrichi en maltodextrine, composé énergétique facilement métabolisable. Administré au cours des 8 premières heures de vie, il a permis une augmentation du taux de croissance sur la période néonatale de chiots de grandes races (824±349g vs 662±334g pour les témoins nourris avec du Baby-DogMilk; p=0,03 sur 334 chiots).

 

CONCLUSION

Le colostrum reste une sécrétion complexe qu’aucun substitut colostral n’égale. Si le colostrum ou les substituts colostraux contribuent à diminuer le risque de mortalité néonatale, leur administration ne dispense pas des mesures d’hygiène classiques telles que nettoyage-désinfection fréquents de la maternité, soins du cordon ombilical, hygiène buccale et cutanée de la mère, correctement vaccinée. L’hygiène et l’attention portée à un apport énergétique suffisant (par le suivi du poids) permettront de limiter la pression infectieuse d’une part et au jeune d’être en mesure de mobiliser ses défenses immunitaires face aux pathogènes d’autre part.

 

• DÉCLARATION PUBLIQUE D'INTÉRÉTS SOUS LA RESPONSABILITÉ DU OU DES AUTEURS : NON COMMUNIQUEE

 
 
Source : Rencontres AFVAC 2018
 

Table ronde à l'issue de cet exposé :

 

Le colostrum est il identique chez toutes les chattes ?
Le colostrum est de meilleure qualité chez les multipares !

Quelle quantité de lait est elle nécessaire pour une bonne absorption de colostrum ?
La dose mini est de 1,5ml/100 g (de chaton), ce qui apportera la meilleure immunité possible et la plus longue.
Attention, le chaton nait sans immunité ou presque.


Les laits maternisés peuvent ils se substituer au colostrum ?
Les laits maternisés sont de bonne qualité, mais uniquement en ce qui concerne l'apport énergétique, pas du tout pour l’immunologie.


Pendant quelle durée l'absorption des anticorps est elle possible ?
La fermeture de la barrière intestinale est effective au bout de 16h de vie (chez le chiot).
Ce n'est pas totalement progressif, la barrière intestinale se ferme de + en + par périodes de 4 heures.

Que penser du sondage systématique ?
Il s'agit d'un geste non médical, à apprendre. Les éleveurs pourraient envisager ce geste après avoir reçu une formation de base.
Il ne faut absolument rien injecter !!! (glucose, ...)


Et la poudre d'oeuf hyperimmune ?
En pratiquant la vaccination d’une poule avec des vaccins félins, l’œuf va contenir des anticorps dans le jaune. On pourra ainsi en tirer une poudre d'oeuf hyperimmune qui servira pour alimenter les chatons.
Son efficacité a été avérée pour le chiot, l’énergie apportée est identique à celle du lait de vache.


Comment favoriser la lactation de la chatte ?
Il faut mettre la chatte dans une situation la moins stressante possible.

Si la chatte mange les placentas, aura t'elle plus de lait ?
Il n'y a pas de liaison directe entre l’absorption ou non du placenta sur la production laitière.
Par contre cela permet un apport d’ocytocine, qui permet l’expulsion du lait, et limite le risque de mammite.


Que faire en cas de risque d'erythrolyse néonatale ?
Chez les chattes de groupe B pour lesquelles les chatons ont été séparés, les immunoglobulines sont toujours présentes dans la première tétée, mais les chatons ne peuvent plus les assimiler, en raison de la fermeture de la barrière intestinale.
Il est conseillé de pratiquer une séparation de 24 heures.

Y'a t'il des tetines meilleures que d'autres ?
Chez le chat, les mamelles qui donnent le meilleur lait ne sont pas toujours les mêmes !!!
Il faut penser à bien nettoyer autour des mamelles !

 

Le CASib remercie Mme Alyse BRISSON, qui a pallié notre absence de dernière minute, et qui nous a permis de vous proposer le contenu des échanges des tables rondes.